Jack Vance 1950
C’est le premier vrai roman de Science-Fiction de Jack Vance, qu’il a lui-même rebaptisé The Rapparee* (l’Aventurier) pour VIE l’édition intégrale de 2004.
Il s’agit là d’un véritable space opéra dans la tradition du genre. C’est une œuvre paradoxale où on entrevoit les mondes futurs de Vance et où son style décrit comme « baroque » s’affirme déjà, tout comme son imagination plus que fertile, mais avec -en apparence- certaines maladresses qui en fait, pourraient être considérées plutôt comme une manipulation au second degré des stéréotypes du genre.
En 1950 Jack Vance n’était déjà plus un débutant : il avait auparavant publié près d’une dizaine de nouvelles dans diverses revues pulps de l’époque, sans compter son recueil de récits de fantasy paru la même année, The Dying Earth, aujourd’hui devenu culte. En fait Le roman The Five Gold Bands reprend le style de sa première nouvelle publiée en 1945 : The world Thinker en inversant les rôles héros/héroïne et toujours dans la continuité du style de récit que l’on trouvait dans les « pulps » de cette époque. La première parution a eu lieu dans le numéro de novembre 1950 du magazine Startling Stories dans lequel Vance avait l’habitude de publier. Le roman sera vraiment édité en livre de poche en 1953 par Toby Press sous un autre titre : The Space Pirate.
Le personnage principal Paddy Blackthorn* (de son vrai nom Patrick Delorcy Blackthorn originaire de Skibbereen, dans le Comté de Cork) est un Irlandais* rouquin pur jus, bavard et plutôt balourd avec ses expressions macho ou catho, mais malin et compétent dans son métier de brigand interplanétaire, il partage la vedette avec Fay Bursill, une espionne terrienne sûre d’elle et tout aussi maligne et compétente. Les autres personnages, les « vilains » sont les cinq « Fils de Langtry » des extra-terrestres humains mais transformés par leur environnement : les Badau, les Shauls, les Aigles, les Koton et les Loristanais. Ils détiennent le monopole de l’ultra propulsion inventée par Langtry. La Terre n’est désormais qu’une misérable planète pauvre parmi d’autres.
Le roman nous conte la chasse au trésor de Paddy et Fay qui les conduira à une virée interplanétaire des planètes exotiques et dangereuses des Fils de Langtry à la recherche du secret de l’ultra propulsion. Pour Vance c’est le prétexte idéal pour faire du tourisme spatial, les planètes sont toutes plus excentriques les unes que les autres, de même que leurs habitants avec leurs étranges mutations.
Malgré quelques situations dramatiques (l’horripilateur…),le ton de l’histoire reste « bon-enfant ». Même si l’intrigue est assez linéaire, l’environnement est complexe et bien pensé, le suspense est constant et comme toujours chez Vance, les descriptions ont une force étonnante dans leur mélange de concision et de détails. L’imagination de mondes et peuples étranges deviendra une caractéristique de Jack Vance,mais dans ce roman c’est un pendant au stéréotype du héros irlandais machiste et sympathique et de son amourette avec la malicieuse espionne terrienne. Action et situations étranges se suivent sans laisser de répit : le résultat est agréable à lire, tout au long des pages on ressent une sorte de prélude aux chefs-d’œuvre futurs du maître.
*Rapparee : mot Irlandais sans équivalent propre qui évoque un bandit -aventurier-pillard ou soldat hors la loi (spécifiquement la loi Anglaise…)
* Le choix de ce nom Irlandais laisse entrevoir l’intérêt de John Jolbrook Vance pour le folklore Irlandais/celtique, alors qu’il n’avait pas encore eu l’occasion de visiter ce pays ainsi que l’Angleterre, ce qu’il fera quelques années plus tard puis dans les années 60 avec sa famille
Éditions originales USA:
The Five Gold Bands : Startling Stories 1950
The Space Pirate : Toby press 1953
The Five Gold Bands : Ace double 1962
The Five Gold Bands : Ace double 1963
The Five Gold Bands : Daw 1980
The Rapparee : VIE 2003
Editions Françaises :
Presse Pocket 1984 & Actu SF 2013
Extraits de texte
1-Les races extra-terrestres issues de mutation humaines sont un leitmotiv chez Jack Vance :
« L’appareil se posa, la coupole transparente se rabattit et les cinq Fils de Langtry descendirent l’un derrière l’autre, sans un mot. L’Aigle décharné d’Alpheratz A menait le train suivi du Loristanais au visage flasque couleur de beurre frais, du Shaul au capuchon tacheté, puis du Koton aux yeux comme des soucoupes et enfin du Badau pareil à un pot à tabac monté sur de petites pattes courtes et à la tête gibbeuse… Paddy les regarda approcher, les mains sur les hanches et la lèvre supérieure retroussée en un rictus dédaigneux. « Et dire que leurs aïeux étaient tous de braves Terriens comme vous et moi », fit-il en hochant la tête. « Regardez-moi ça, maintenant on se croirait au zoo. » Chap. 2
« Mais les récoltes sont formidables, Fay. Ils font pousser des fruits et des légumes superbes, plus beaux que sur la Terre d’où ils ont été importés, puisque les espèces locales étaient toutes des poisons foudroyants. Seulement les plantes ont évolué tout comme les hommes qui se sont installés ici et se sont transformés en Badaus. » /chap. 6
2-Les créatures/soldats invention Vancienne qu’il reprendra dans nombre de ses romans :
« De l’arrière de la navette émergèrent encore deux Kudthus modèle géant. À leur peau cramoisie, Paddy reconnut les produits, émasculés et pratiquement dépourvus de cervelles, résultats de la chirurgie et d’une alimentation forcée : deux énormes masses musculeuses à la tête et au cou garnis d’excroissances de chair rouges, turgescentes, comme les dindons.
Ils avaient été lobotomisés, ce qui était censé leur permettre de concentrer plus facilement leur attention, et ils se déplaçaient comme en état d’hypnose. Ils allèrent se poster chacun à une extrémité de l’astéroïde où ils restèrent plantés, raides et impassibles, comme deux statues colossales, leurs yeux bleus, pareils à des vesses-de-loup, braqués sur Paddy. » Chap2
3-L’attrait du langage, de ses nuances et variations inspirera à Vance en 1958 « les langages de Pao »
« Tiens, nous avons un Terrien, cette année, constata-t-il avec allégresse. Ils font parfois de bons linguistes. Je trouve que ce sont les meilleurs avec les Shauls. Je me demande ce que ce gredin a bien pu faire.
Paddy releva la tête et le reluqua d’un air sinistre, puis, décidant qu’il venait par la même d’entrer en fonctions, il s’inclina devant le Koton et lui traduisait ces propos en koton, après quoi il en fit autant pour le Badau, l’Aigle et le Shaul. Dans la dernière phrase, toutefois, au terme “gredin” il substitua en koton le mot zhaktum, qui implique une connotation de hardiesse, l’expression badaïque luad, qui signifie “chevalier bien monté” dans la tradition de Robin des Bois, puis le phérasique a-kao-up, que l’on pourrait rendre par “voleur-à-tire-d’aile” et enfin le substantif shaul condosiir, dérivé du vieux mot toscan condottiere. » /chap. 2
4-Une manière détournée de peaufiner la description d’un personnage :
ON RECHERCHE
POUR CRIME INTERPLANÉTAIRE.
Paddy Blackthorn, Terrien, Dangereux !
Taille : 1,80 m ; Poids : 90 kg.
Âge : trente ans environ.
Cheveux châtain tirant sur le roux, yeux noisette, nez cassé
5-Une technique de camouflage soignée :
Trois heures plus tard, Paddy était un autre homme. Il avait les cheveux noircis à l’Optichrome B et son nez cassé avait retrouvé son arrête rectiligne, comme au temps de sa jeunesse, ses doigts portaient maintenant de nouvelles empreintes et même sa langue avait été légèrement suturée, ce qui en modifiait le dessin tout en lui altérant la voix. Chap. IV
6-Un exemple frappant de description de mondes étrangers :
« L’Amas des Voleurs était une constellation de huit soleils situés dans les Limbes de Persée, et qui avait attiré à elle une multitude d’astres morts, de planètes de planétoïdes, d’astéroïdes, de météorites et de débris aussi divers que variés. C’était le dernier port de salut pour les âmes damnées de tous les univers. Entre ces centaines de milliers de satellites, même le plus minable des rafiots pouvait se permettre de déjouer toutes les poursuites, tel le lapin semant un chien dans un fourré de ronces de deux kilomètres d’épaisseur…..
Il n’y avait pas de loi dans l’Amas des Voleurs, sauf dans la ville d’Eleanor, capitale d’As-de-pique, la planète centrale, qui disposait d’une sorte de gouvernement – une confrérie d’individus entre lesquels s’était instauré un équilibre de la terreur et du désespoir, une société d’antisociaux. Le pouvoir exécutif de ce gouvernement était assumé par la Bande à Nez-Bleu du nom du maire d’Eleanor, Peter Nez-Bleu, ainsi surnommé parce qu’il descendait d’une famille puritaine originaire de la Nouvelle-Écosse où il faisait très froid ». Chap. 4
Leur drôle de démarche donnait l’impression qu’ils avaient les genoux désarticulés ; on aurait dit des acteurs mimant le secret. Leurs gros cheveux filasse se dressaient sur leur tête, raides comme la flamme d’une bougie. Les membres de la caste des soldats portaient leur chevelure taillée en plateau à trois centimètres au-dessus du crâne, et un seul homme sur Koto se rasait la tête ; le Fils de Langtry. Chap. 12
La Ventrole de Fumighast était encore un gouffre gigantesque de section presque circulaire, qui s’enfonçait tellement profondément dans la planète qu’on n’en distinguait pas le fond a travers la brume, et dont les parois étincelantes projetaient dans toutes les directions comme autant de javelots de cristal, des éclairs flamboyants : mille feux éblouissants de toutes les couleurs du prisme, et qui changeait au fur et à mesure que la plate-forme s’engouffrait dans la crevasse, accompagnée par les pétarades de ses vieux réacteurs. Chap10
7-Un relent vintage : le héros, dans son astronef cherche un endroit sur une planète étrangère en consultant un annuaire papier !
— Pas trace de Corescens, reprit Paddy en feuilletant l’annuaire de Langtry. Chap 9
8-Petites réflexions folkloriques fleurant bon le catholicisme Irlandais :
« Ô Tabernacles ! hoqueta Paddy, suffoqué » (chap 1)
« Si Notre Seigneur voulait bien s’occuper un peu de son Irlandais de fils, et se rappeler que j’ai été toute ma vie un grand brûleur de cierges, ce serait le moment où jamais… » chap. 2
Jouer au chat et à la souris, comme ça, ça vous redonne sa vraie valeur à la vie. Et dans ces cas-là, évidemment, pas moyen de mettre la main sur un prêtre pour vous préparer à la félicité éternelle.
Tout le monde descend, répondit Paddy. Et maintenant, si vous êtes une bonne catholique, faites donc une petite prière à Saint Antoine. Chap11
9-Le héros et les femmes :
« — Pffft ! s’exclama Fay. Si le cœur vous en dit, vous pouvez aussi bien vous confesser à moi.
— Et pourquoi pas après tout ? C’est l’intention qui libère l’âme du pêché. Eh bien ma sœur… Et Paddy se plongea dans l’étude de la cloison. J’ai commis un certain pêché sur la planète Maeva, mais on m’accordera que la tentation était insoutenable. Ah, là-là… Il y a sur Maeva un jardin vert où l’on s’assied sous les platanes pour boire de la bière locale, qui est succulente. Et voilà que ces filles aux yeux de velours s’approchent de vous d’une démarche dansante, les épaules nues comme leurs longues jambes brunes… Elles ont une perle dans le nombril et des émeraudes dans les oreilles ; leurs longs regards langoureux sont comme du miel et quand elles vous regardent, toute votre volonté de vivre en bon chrétien s’envole comme les mouettes dans l’Avant-pays Sanglant. Et puis… chap9
« — Enfin, ma chère, voyons…
— Je ne suis pas votre chère ! J’appartiens à l’Agence Terrestre, pour mon malheur… » chap.9
— Juste un petit baiser de rien du tout, implora Paddy. Pour qu’au moins, si les Shauls nous capturent, je meure heureux. Rien qu’un tout petit baiser…
— Non… Bon enfin, rien qu’un… Oh Paddy… Allez, ça suffit maintenant, lâchez-moi ou je mets du bromure dans votre nourriture jusqu’à ce que vous ne puissiez plus distinguer une femme d’un diplodocus. » chap10
Parmi les millions de femelles au cœur tendre de l’univers, conclut Paddy avec un frisson, il a fallu que je tombe sur une consœur des trois sorcières de Macbeth. Chap. 11
« Je suis Paddy Blackthorn l’aventurier, le Patrick Blackthorn dont s’enorgueillit le Séminaire de St Luc, qui vous parlerait grec, roman et gaélique jusqu’à ce que vos oreilles se mettent à frétiller de joie, et Patrick Delorcy Blackthorn de Skibbereen, gentleman-farmer et éleveur de chevaux. » chap. 9
10-Reflexion Vancienne typique :
Le navire traversait l’espace à une vitesse incommensurable – à moins qu’il n’ait été immobile. Comment savoir ? chap. 11
11-Une fin à l’eau de rose ou pleine d’humour ?
Et puis nous nous marierons et nous achèterons tout le Comté de Cork, poursuivit Paddy avec un enthousiasme croissant. Nous nous ferons construire une maison de deux kilomètres de long et presque aussi haute et où le champagne coulera par tous les robinets. Nous élèverons les plus beaux chevaux qu’on ait jamais vus au Dublin Meet et tous les seigneurs de l’univers nous salueront bien bas lorsque nous passerons devant eux.
— Nous engraisserons, Paddy. – Chap. 14
Chez Vance, le même comme chez les écrivains de science-fiction des années 40 et 50 en général, les dialogues des nouvelles parues dans les pulps ont l’air très daté. En revanche, depuis le tout début, dans La terre mourante, Vance était capable d’écrire des dialogues, qui n’essaient imiter la manière contemporaine de parler, l’argot, le langage du film de série B, et qui à cause de cela deviennent intemporels. Esthétiquement, c’est la différence entre La planète géante et Les baladins de la planète géante.
Au moins en anglais, le roman est presque illisible à cause de la caractérisation et la façon de parler du personnage principal : son « Irishness » est caricatural, faux, agaçant, stéréotypé jusqu’à la limite de l’insulte. Il se peut que la traduction française apporte une amélioration, étant donné qu’il n’est pas possible de reproduire précisément ces stéréotypes linguistiques et culturels.
Je ne peux pas apprécier vraiment la version anglaise, en Français c’est supportable mais effectivement caricatural – c’est un des rares bouquins de Vance où les dialogues ne sont pas à la hauteur de l’histoire . En plus j’imagine que Vance à du se forcer à écrire de cette façon, un parti-pris raté malheureusement – Ceci-dit il reste encore pas mal de matière pour se réjouir.
Aujourd’hui ce petit roman (200 p.) ferait l’objet d’une série de 5 bouquins de 500 pages!
Je n’en ai plus aucun souvenir. Je me demande même si je le possède, la couverture bien moche de Siudmak ne me dit rien.
Compréhensible, c’est léger, petite lecture de vacance sous un parasol, mais quand même un peu au dessus d’un « roman de gare ».
Lu en 90 et hier … légèrement daté, mais un fan de Vance trouvera toujours son bonheur dans une phrase ou un bon mot ici et là, au détour d’une page…